Je suis diablement parisienne, de mon socle en fonte, à la pointe de ma flèche. Alors, forcément, certaines, un peu jalouses, me trouvent un brin snob, raide et bégueule.
C'est vrai, je n'ignore pas que je suis très jolie, d'une ligne rare, lancée d'un seul trait de plume vers le ciel. Mais ce n'est pour autant que je toise de ma hauteur mes voisins moins bien dotés. Par exemple, le centre d'art contemporain cerné de boîtes de conserve pêchées dans une fabrique de sardines. Ou bien encore la médiathèque et sa façade de verre qui enveloppe, chaque été, les amoureux des livres dans les vapeurs d'un sauna nordique.
L'info heureuseParfois bien inspirés, mes patrons de la mairie de Dreux m'ont délicatement installée sur la place Mésirard, il y a quelques années.
À deux pas du théâtre, mon job, c'est d'offrir aux passants l'information heureuse. Les spectacles, les expositions, les concerts et tous ces événements locaux qui rendent la vie plus belle. À ceux qui font la fine bouche, préférant à la culture locale celle des rues de la capitale peuplées de colonnes Morris, je démontre qu'il se passe toujours quelque chose à Dreux. La preuve ? Mon corps en cylindre est couvert d'affiches du 1 er janvier au 31 décembre.
Vanter les plaisirs des planches et de l'esprit, c'est ma vocation depuis 1850. Cette année-là, Ernst Litfass, un imprimeur berlinois, m'imagine en alternative efficace contre l'affichage sauvage. Mais c'est mon vrai papa, Gabriel Morris, imprimeur lui aussi, qui remportera la timbale. Le petit malin, spécialisé dans les affiches de spectacles, m'offre une multitude de soeurs jumelles dans les rues de Paris. Si bien qu'en 1900, nous sommes plus de 200 à sublimer la perspective des artères hausmaniennes.
Pelles et balaisDans le ventre de mes ancêtres, les employés de la mairie rangeaient leurs pelles et leurs balais. Certaines colonnes étaient même équipées de pissotières. Une fonction pour laquelle, croyez-moi, je ne suis pas candidate !
Seule à Dreux, je ne souffre d'aucune concurrence. Car à Paris, bien des colonnes Morris que l'on accuserait sans doute aujourd'hui, de dégager des particules fines, sont passées sous l'échafaud de la municipalité Delanoé. Deux cent vingt-trois frangines ont été priées de décamper afin de « désencombrer l'espace public. » Alors, que l'on se rassure, si un jour, il n'est reste qu'une, ce sera moi !
Pascal Boursier
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