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18 juin 2009 4 18 /06 /juin /2009 00:00

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AN PAR AN,   Chronique d'une jeunesse drouaise.

J'ai fait le pari de raconter une vie, annèe par année.
La chronique d'une vie drouaise, ou plutôt d'une jeunesse drouaise :
de 1946 à 1967. Chaque semaine, une année.....
J'y raconte mon enfance à Dreux, mais je m'attache surtout à décrire tout ce que j'ai pu observer dans la vie drouaise de l'époque...
Les personnes, les lieux, l'histoire et les petites histoires drouaises, des portraits, des atmosphéres, des anecdotes. , bref, tout ce qui fait le sel d'une vie et fournit la mémoire en souvenirs de toutes sortes..et que peut être certains Drouais reconnaîtront..

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 1 9 5 3-seconde partie. 

 

 
Papa s’il boit très modérément du vin, est avant tout un amateur de cidre. Il en boit régulièrement à chaque repas et quand il fait chaud. Il ne faut pas oublier les origines normandes de la famille. D’ailleurs il m’arrive à moi aussi d’en boire de temps en temps et pas toujours coupé d’eau.

Papa essaye laborieusement de faire son cidre lui-même. Un de ses copains d’école le fournit en pommes de son verger. Ce copain a le même prénom que Papa, « Maurice » c’est pour cela que leurs camarades d’école les appelaient « les deux Maurice » car ils étaient inséparables. 

Ce copain Maurice a une profession bizarre : il est vidangeur. Vous savez bien, le monsieur qui vient  enlever tout le caca emmagasiné dans la fosse sceptique. Il est venu plusieurs fois à la maison pour cela. Avec son apprenti, (eh oui ! il y a aussi des apprentis vidangeurs) il a introduit  un  long tuyau de caoutchouc dans la fosse ouverte. Je ne savais pas que cela sentait aussi mauvais. Je m’en pince encore le nez. Puis il a mis une  pompe bruyante et fumante en marche et tout a été transvasé dans un veux camion citerne poussif. Ensuite il va faire couler tout cela dans un champ d’épandage. Maurice en possède ainsi plusieurs autour de Dreux. Ils sont reconnus de loin à leur odeur. Sur un des ces champs qu’il m’arrive souvent de longer en accélérant le pas, verra dans une vingtaine d’année se construire le nouvel hôpital.

Le tout à l’égout est loin d’exister partout à Dreux. Et d’ailleurs les fosses sceptiques ne sont souvent que de simples trous aménagés dans la terre. Ma maison s’il elle possède une fosse sceptique aux normes, ne sera toujours pas reliée à un réseau de tout à l’égout au début du lointain prochain siècle. 

Bon, si on revenait à un sujet bien plus odorant :
Le cidre à la Papa.
Maurice amène à Papa un tombereau de pommes de son verger dans son tracteur (pas celui qui sert à la vidange, bien sûr). Les trois pommiers que nous avons dans le jardin produisent des pommes comme l’on dit « à couteau « , c'est-à-dire qu’on épluche pour les manger ou en faire tartes et confitures, et non pour en faire du cidre….c’est pour cela que Papa a besoin des pommes de Maurice….

Papa a récupéré je ne sais où du matériel pour faire du cidre. Un moulin, un pressoir et quelques tonneaux. C’est drôle le moulin, on tourne une grande manivelle en fer sur le coté d’un cône carré en bois. (Un cône carré, je ne sais pas si cela existe, mais je ne serais toujours un cancre en géométrie, alors sans complexe , un cône carré ) Les pommes écrasées sont transvasées dans le pressoir. Une grande barre que l’on pousse en tournant le long d’une vis….Et le jus atterrit dans les tonneaux…

Je ne verrais l’opération que deux ou trois fois car Papa n’est pas très doué (chacun son métier).et le cidre n’est pas très bon…
Papa expliquera plus tard qu’il a arrêté de faire du cidre, parce que  les tonneaux étaient percés et qu’il ne savait pas les réparer alors que son grand père était tonnelier. Il possède d’ailleurs dans son atelier des outils de tonnelier dont il ne connaît pas le maniement. Pour avoir du cidre, du bon, il suffit de descendre la rue, cher Vandier ou ils en vendent en provenance directe d’une ferme de Chauffours. Papa les ramène par six dans son porte bouteilles en fer torsadé et à la poignée de bois rond.

 

Ma deuxième année scolaire se déroule bien :

Je vais maintenant à l’école blanche sur mon petit vélo rouge, prés d’un kilomètre quand même et j’ai sept ans à peine.. Maman m’accompagne le plus souvent possible avant d’aller travailler, ou vient me chercher le soir après l’étude. Avant la rentrée scolaire, Maman avait étudié avec moi le parcours à suivre.  . Elle avait même averti une de ses amies, avec mission de surveiller mon passage lors de mes trajets solitaires. Mais le chemin qui me fait passer devant les fenêtres de cette brave dame est, dés qu’il pleut, transformé en bourbier infranchissable pour le petit vélo et son cavalier. C’est pourquoi, j’ai très vite du changer d’itinéraire, en roulant toujours sur la route asphaltée avec une centaine de mètres supplémentaires . 

Le midi je reviens déjeuner à la maison. L’école considère que j’habite trop près (un quart d’heure à pied) pour rester avec mes camarades à la cantine. Maman a du batailler ferme auprès du directeur pour que je puisse venir à l’école en vélo et rentrer avec ma bicyclette dans la cour de récréation par une  petite porte de service ouverte seulement pour moi à heure fixe…Je dois suspendre mon vélo debout à un crochet à l’entrée du préau. Et il est lourd ce vélo, même petit et rouge. Je fais tout de suite figure de petit canard ou de privilégié auprès de mes camarades, puisque j’ai une entrée privée.

A midi donc, je rentre à la maison. Je suis accueilli par des aboiements frénétiques et des battements de queues nerveux de ma chienne Louloute. Avant que mes  parents arrivent, je mets la table et je prépare comme je peux le repas. Après manger, je repars avant eux de la maison. Mais quand elle peut maman par prudence m’accompagne à l’école à vélo….

Même si je reste à l’étude jusqu’à six heures du soir où je fais mes devoirs scolaires, Maman me fait faire d’autres exercices. Des dictées à n’en plus finir. J’aurai toujours des problèmes avec la grammaire. Mais j’aime lire…

Maman m’abonne à plusieurs hebdomadaires pour enfants :  Vaillant, Pierrot et surtout Tintin qui va me suivre un certain nombre d’années. Je deviendrai plus tard un tintinophile  presque éclairé. 

Dés que j’en ai fini avec mes devoirs, si papa travaille encore dans son atelier je file, avant qu’elle ne soit fermée à la boutique de Mme Verneau. Sinon c’est papa qui y va.

Ce n’est pas loin, en bas de la rue, à coté de chez Vandier.
Avec ma laitière en fer blanc, j’y achète du lait et un peu d’épicerie. Mme Verneau verse dans ma laitière cabossée le lait qu’elle puise avec une grande louche  dans un bidon  Le dimanche matin, l’épicerie est fermée. Une camionnette stationne alors devant la boutique, et un monsieur distribue le lait venu directement de la ferme…

Le lait est cru, il est bon, mais avant de le boire maman le fait bouillir dans une grande casserole. Pour ne pas qu’il déborde,  maman y plonge un anti-monte lait. C’est un rond en verre, comme un couvercle de pot de confiture….Quand le lait se met à bouillir, l’anti-monte lait se met à bouger fortement en produisant des chocs sonores dans la casserole qui nous préviennent qu’il est temps d’arrêter le gaz…


A SUIVRE : Jeudi prochain : 1953- troisième et dernière  partie.
Si vous voulez lire ou relire les chapitres précédents, 
:
A droite de ce texte, dans la rubrique : Catégories. Cliquer sur "le feuilleton".
    

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11 juin 2009 4 11 /06 /juin /2009 07:00

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AN PAR AN,
               Chronique d'une jeunesse drouaise
.

J'ai fait le pari de raconter une vie, annèe par année.
La chronique d'une vie drouaise, ou plutôt d'une jeunesse drouaise :
de 1946 à 1967. Chaque semaine, une année.....
J'y raconte mon enfance à Dreux, mais je m'attache surtout à décrire tout ce que j'ai pu observer dans la vie drouaise de l'époque...
Les personnes, les lieux, l'histoire et les petites histoires drouaises, des portraits, des atmosphéres, des anecdotes. , bref, tout ce qui fait le sel d'une vie et fournit la mémoire en souvenirs de toutes sortes..et que peut être certains Drouais reconnaîtront..

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 1 9 5 3- Première partie.



Bientôt 7 ans-Je m’approche de l’âge de raison…

 

Maintenant je sais presque lire et écrire. J’ai tracé à la craie rose sur le plâtre nu du mur palier de la cave deux mots « Zizi, Panpan ». Ne vous méprenez pas,  l’ami Pierrot Perret n’y est pour rien. Zizi et Panpan sont les surnoms des deux petits garnements héros de mon premier livre de lecture. Papa se garde bien d’effacer ces mots qu’il considère comme mes premiers gribouillis. Ils resterons longtemps visibles sur le mur, peut être vingt ans avant que le temps les efface peu à peu.

 

Papa a la charge dans son travail de former plusieurs apprentis menuisiers. Des garçons entre 14 et 16 ans, qui, pour les cours théoriques fréquentent le centre d’apprentissage, et apprennent le métier « sur le tas » avec papa et ses collègues.  

Il arrive quelque fois que ces « arpêtes » viennent à la maison.
Un me fait particulièrement rire. Son prénom je ne m’en souviens pas. Il chante, en essayant de l’imiter, des chansons de Bourvil. Sa version de la tactique du gendarme, avec gestes et bruits de sifflets me fait hurler de joie et battre des mains. Mais mon père sourit à peine, un peu gêné. Il n’aime pas beaucoup ce jeune garçon, déjà alcoolique profond à 15 ans. Papa dit que cela lui pose problème. Souvent ivre cet apprenti travaille mal, est souvent absent, Papa doit faire son travail à sa place.

Ce que Papa redoute le plus c’est l’accident, car les scies ruban, les dégauchisseuses et  les toupies peuvent en une fraction de secondes trancher à vif plusieurs doigts voire la main entière…Les protections n’existent guère et un jeune inexpérimenté aux gestes désordonnés par l’alcool peut facilement se blesser très sérieusement, et papa s’en sentirait responsable. Papa a été le témoin de plusieurs de ces accidents, heureusement pas parmi ses apprentis. Mais il en est resté très choqué.

Papa très souvent montre ses deux mains en écartant ses dix doigts et disant fièrement. « Je les ai gardé  tous les dix. ». En effets presque tous ses camarades ont des phalanges voire des doigts mutilés. Papa ne porte plus d’alliance. La sienne s’est cassée pendant qu’il était prisonnier à décharger des briques de péniches accostées le long de la Spree à Berlin. Il n’en remet pas car une alliance peut s’accrocher et produire l’accident…

 

L’alcoolisme est un fléau dans le milieu dans lequel travaille Papa. Combien de fois je le vois refuser fermement de suivre ses copains (sa « coterie", comme il dit) au café. Il se fait mal voir, car la femme du contremaître tient un petit bistrot.

  Ce contremaître est un personnage d’un autre temps. Un grand échalas à l’aspect d’insecte aux grandes pattes, tout gris des cheveux à la vareuse à larges pans. Il porte un chapeau cabossé en feutre à la couleur indéterminée. Il coince dans ses lèvres coupées au couteau un long porte cigarette Ce qui m’étonne le plus dans son accoutrement, ce sont ses guêtres cloutées en cuir jaunâtre. Elle sont hautes et enserrent son mollet osseux. Il y a des crochets et des lacets partout. Il doit mettre un temps fou pour enfiler ces godasses héritées probablement d’un passé militaire. Ce qui est plus rigolo c’est quand il enfourche son vélo et part en zigzaguant, les jambes trop longues en arc de cercle un peu à la manière de jacques Tati dans "jour de Fête". .

Eh oui, même les chefs n’ont pas toujours de voitures dans cette année 53.

Et c’est le vélo à la main qu’il entraîne ses ouvriers dans l’abreuvoir à vin de sa femme.

 

Papa s’est toujours refusé à passer son temps à boire et dépenser sa paie dans l’estaminet de son chef. Le contremaître se venge en desservant toujours Papa auprès du père Beaufour, le  grand patron de la scierie menuiserie.

Mais papa verra son entêtement récompensé : Il vivra prés de quatre vingt huit ans, alors que la plupart de ses  compagnons, y compris le contremaître, grâce au gros rouge et à la gauloise brune ne dépasseront guère les soixante ans…

 

A l’école la maîtresse nous parle aussi de l’alcoolisme. Elle nous dit que ce n’est pas beau de boire, et plus d’un litre de vin par jour c’est mauvais pour la santé. C’est beaucoup plus d’un litre par jour ? Je ne m’en rends pas très bien compte. 

Papa doit en partie sa sobriété à la ténacité  de sa maman qui avait beaucoup souffert de l’alcoolisme de son Papa. A la mort de sa maman elle avait du élever seule son petit frère sans l’aide de son père peu présent.

Ce dévouement lui a valu à vingt et un ans d’être élue rosière de Dreux pour l’année 1901. C'est-à-dire la jeune fille la plus méritante de l’année…Elle se serait bien passé de cet honneur malgré quelques subsides en récompense.  Selon Papa elle n’en parlait jamais. Une autre rosière après elle aurait défrayé la chronique en s’avérant enceinte lors de son élection, sans être mariée bien sûr. (Ce qui était à l’époque une honte suprême) .

Ma maman a mis sur la photo une croix pour qu'on reconnnaisse bien la rosière Aimée MORCEL, ma grand-mère 


Ma grand-mère Aimée n’a pas eu de chance dans sa vie
. Après avoir élevé seule son frère, elle a du élever seule son fils orphelin à 9 ans. Son mari, mon grand-père ayant été fauché à Verdun le jour de ses quarante ans lors de la première attaque allemande du 25 février 1916. Vu son âge, il n'était pas combattant mais "territorial" c'est à dire qu'il aidait, comme menuisier dans le civil,  à l'installation des tranchées en avant du fort de Douaumont


Aimée a tout fait pour protéger son fils de l’alcoolisme, sa terreur. Elle le surveillait à la sortie de la boutique d’ébénisterie où dés douze ans il était apprenti. Papa s’était inscrit à la fanfare de la Lyre Druidique pour apprendre le solfège et à jouer d’un instrument, en l’occurrence du baryton. Cet instrument en cuivre tout bosselé et rescapé du bombardement de 1944 trône dans le grenier plein de poussière et je n'ai pas le droit d'y toucher. Mais Papa a du abandonner l'apprentissage musical au  bout de quelques mois. Les répétitions se terminait en beuverie au café de l’Epoque. Ma grand-mère ne l’a pas toléré.

 

Aimée était lingère, pendant la guerre de 14/18 à l’hôpital, après quelques années comme pionne à l’internat du lycée de Jeunes filles, puis de nouveau lingère chez différents commerçants (en particulier chez le plus gros boucher charcutier de la ville. (Cantor rue Parisis)) 

 Elle mourra d’épuisement lors de l’exode de 1940. Papa a toujours regretté de n’avoir pu assister à ses obsèques, étant alors prisonnier de guerre à Berlin… 

A SUIVRE : Jeudi prochain : 1953 deuxième partie.
Si vous voulez lire ou relire les chapitres précédents, 
:
A droite de ce texte, dans la rubrique : Catégories. Cliquer sur "le feuilleton".
  

  

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4 juin 2009 4 04 /06 /juin /2009 07:00

Petite flême passagère due en partie à Rotrou.
Exeptionnellement le feuilleton ne paraît pas ce jeudi matin.

Mais vous retrouverez comme chaque semaine
 jeudi prochain votre feuilleton
"AN par AN, une jeunesse Drouaise."
Et nous aborderons l'année 1953.

A jeudi si Dreux le veut bien.
 
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28 mai 2009 4 28 /05 /mai /2009 07:00

  

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AN PAR AN,
               Chronique d'une jeunesse drouaise
.

J'ai fait le pari de raconter une vie, annèe par année.
La chronique d'une vie drouaise, ou plutôt d'une jeunesse drouaise :
de 1946 à 1967. Chaque semaine, une année.....
J'y raconte mon enfance à Dreux, mais je m'attache surtout à décrire tout ce que j'ai pu observer dans la vie drouaise de l'époque...
Les personnes, les lieux, l'histoire et les petites histoires drouaises, des portraits, des atmosphéres, des anecdotes. , bref, tout ce qui fait le sel d'une vie et fournit la mémoire en souvenirs de toutes sortes..et que peut être certains Drouais reconnaîtront..

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 1 9 5 2 (troisième et dernière partie) 


 

Mi Septembre : le grand changement : je rentre à la grande école.

Cette école Ferdinand Buisson, que l’on nomme dans le quartier « l’école blanche », a été construite en 1937 par notre maire actuel Maurice Violette le radical ancien dirigeant du front populaire  (sur la photo célèbre de la place de la bastille, à coté de Léon Blum qui lève le poing, le petit bonhomme à barbiche et chapeau, c’est lui. Je ne manquerai pas d’en reparler.)

Si l’on nomme cette école « blanche » c’est qu’elle est recouverte en crépi blanc et non pas comme les autres établissements scolaires en pierre ou en brique apparente, comme "Godeau" (école de Garçons) ou "Saint Martin" (Ecole de filles) du centre ville ou Même "Paul Bert" au plateau sud.  Elle n’a pas d’étage. Elle est curieuse, elle a la forme d’un T. Dans la branche de gauche, quatre classes, celles des garçons, dans celle de droite les quatre classes des filles. Dans la barre du milieu qui, elle comporte un étage, la cantine, le bureau du directeur, les douches et en haut, quatre petits appartements pour les instituteurs. Oui, il y a des douches qui permettent aux enfants qui n’ont pas chez eux de vraies commodités de se laver entièrement une fois par semaine. (Et ils sont nombreux. Je suis dans ce cas là, même si j’habite une maison toute neuve, il n’y a bien  une « salle d’eau » mais pas de salle de bain.)

Cette école fut nommée pendant l’occupation « l’école noire. ». Les allemands l’avaient réquisitionnée pour en faire une sorte d’infirmerie hôpital et pour se dissimuler aux regards des avions alliés, l’avaient badigeonnée à la peinture noire..Les enseignants ont du se répartir avec leurs élèves dans différents endroits aux alentours : hangars, ateliers ou granges aménagés de façon sommaire en salle de classe…

Devant cette école se trouve le square Alexandre 1er de Yougoslavie qui comporte en son milieu un bassin d’environ quinze mètres de diamètre et d’une profondeur d’à peine un mètre. Maman me raconte que les jeunes soldats allemands s’y baignaient souvent. Mais ils étaient tout nus. Et les mamans d’alentour éloignaient horrifiées leur progéniture de ce square.

 

Ma première rentrée scolaire se déroule bien. Je vais apprendre à lire et à écrire avec Mme Chauvet. Son mari, est lui aussi instituteur, il s’occupe de la classe de cm1 et des rares élèves qui vont passer l’examen d’entrée en sixième au collège Rotrou. Les autres sont bons pour le certif et le centre d’apprentissage à 14 ans….

Le directeur Monsieur Fauvel qui s’occupe des grands, passant le « certif », est un ancien de la guerre de 1914/18. Il est d’ailleurs Président des anciens combattants Drouais de cette guerre. Mes parents lui vouent  un grand respect teinté d’admiration. J’imagine que mes grands pères s’ils n’avait pas été fauchés par cette terrible « grande guerre » auraient son âge et lui ressembleraient.

 C’est sa dernière année d’enseignant, il partira  à la retraite à la fin de l’année scolaire. Monsieur Fauvel, comme beaucoup a été blessé à plusieurs reprises lors de cette boucherie. Il n’a plus de bras gauche. Il porte une blousse grise et la manche vide se promène ballante le long de son buste. Il vient quelques fois nous faire cours. Quand il écrit de la main droite à la craie sur le tableau noir en nous tournant le dos, la manche libérée fait des moulinets à la cadence des mots qui s’inscrivent en crissant sur le tableau. 

Papa est content. Au premier classement je suis bien placé : quatrième sur trente. Papa me fait tournoyer de joie  sur ses épaules  dans la cuisine.

Eh oui cela sera mon lot toute ma vie : Toujours bien placé, quatrième cinquième voire  sixième mais jamais sur le podium des trois premiers. C’est dommage que l’on ne s’intéresse avec admiration et félicitation qu’au premier, avec un peu de condescendance pour le second et le troisième mais jamais aux deux ou trois suivants. C’est grâce aux talents de ceux là que la performance des premiers peut avoir de la valeur. D’ ailleurs cela me rappelle une histoire que dans mon cas je ne trouve pas drôle….

Un grand père à son petit fils : Une pièce d’un franc si tu es premier, une pièce de 50 centimes si tu es second, une pièce de 20 centime si tu es troisième et mon pied au cul si tu es quatrième ! 

Mais personnellement je ne m’en plains pas cela me permettra quand même de faire des choses sympas dans la vie. 

Je suis dans le grenier avec papa. J’aime bien cet endroit poussiéreux, il y a plein de trucs bizarres que j’aime manipuler, le tuba de papa, cabossé par le bombardement et tout vert de gris, le casque de la guerre 14/18 de mon grand père et plein de bidules indéterminés   

Papa est descendu, je me précipite dans l’escalier et pouff, je glisse,  roulé boulé de marche en marche (y en a 14) Aïe! Aïe !  Mon épaule. Aïe!  Démise l’épaule, mon bras pendouille le long du corps Je suis emmené d’urgence, je ne sais plus, en vélo  ou dans la voiture d’Armand, le voisin .  A l’hôpital ?

Non ! Chez le rebouteux !
Papa et Maman me diront plus tard que les médecins, ils ne savent pas faire.

Me voilà devant la Mère Tricot. Le rebouteux est une rebouteuse. Son aspect n’est pas rassurant, un air de sorcière. Elle me tâte l’épaule, aïe! L’arrose de vinaigre, oui de vinaigre ! Elle me demande comment se suis tombé, je réfléchi pour répondre et crac, elle me retourne complètement l’épaule. Voilà c’est fini.

Pendant longtemps je vais garder une sainte horreur de l’odeur du vinaigre. 

Dans de nombreuses années un médecin me dira que j’ai une épaule plus basse que l’autre et que cela doit poser de problèmes à mon tailleur. 
La mère Tricot aurait-elle mal fait son boulot ? D’ailleurs je m’apercevrai qu’un bon nombre de mes contemporain Drouais ont gardé un souvenir cuisant du vinaigre de la mère Tricot.
 

Un événement marquant en cette année 1952, le roi d’Angleterre est mort, vive le roi, non, vive la reine Elisabeth II.

Long règne à elle,  comme à moi.

A SUIVRE : Jeudi prochain : 1953.
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21 mai 2009 4 21 /05 /mai /2009 07:00

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AN PAR AN 
         Chronique d'une jeunesse drouaise
.

J'ai fait le pari de raconter une vie, annèe par année.
La chronique d'une vie drouaise, ou plutôt d'une jeunesse drouaise :
de 1946 à 1967. Chaque semaine, une année.....
J'y raconte mon enfance à Dreux, mais je m'attache surtout à décrire tout ce que j'ai pu observer dans la vie drouaise de l'époque...
Les personnes, les lieux, l'histoire et les petites histoires drouaises, des portraits, des atmosphéres, des anecdotes. , bref, tout ce qui fait le sel d'une vie et fournit la mémoire en souvenirs de toutes sortes..et que peut être certains Drouais reconnaîtront..

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 1 9 5 2-deuxième partie   

 

Pour moi, une page se tourne, Je quitte la maternelle. Je reçois à la distribution des prix de fin d’année un livre de coloriage pour apprendre les lettres et des bonbons.
Au mois de septembre j’entrerai à la « grande » école.

 

Mais pour l’instant, ce sont les vacances.  Comme maman travaille, se pose bien sûr la question de ma garde. C’est une des cousines de maman qui habite à Germainville un petit village à 10 Km de Dreux qui va me recevoir pendant le mois d’Août. .

Papa m’emmène sur son vélo, sur le porte-bagages dans un siége en osier. Papa m’a offert une petite bicyclette rouge. Après maintes chutes dans le jardin et sur le macadam de la place de Verdun je sais à peu prés faire du vélo. Mais la distance est encore trop grande pour que je puisse pédaler seul sur mon vélo d’enfant. Maman nous suit, avec, sur son porte-bagages une valise contenant mon trousseau.  

 

La cousine Yvonne habite une ancienne petite ferme au milieu du village de Germainville.
 En réalité elle habite en banlieue parisienne à Yerres. Son mari Marceau, selon Maman, travaille dans les bus. Vous savez bien, le Monsieur à casquette, avec une sacoche sur le ventre et une espèce de boite à manivelle avec laquelle il distribue et poinçonne les billets et qui se tient à l’arrière sur la plateforme et tire la sonnette pour que le bus démarre …

Yvonne et Marceau sont en congés à Germainville. C’est leur fille qui habite la fermette avec son mari et leur deux filles. Pour faire un peu mieux bouillir la marmite  la famille accueille quelques petits Parisiens pour les vacances. Je fais un peu partie de ces Petits parisiens tout en étant de la famille.
Je suis le plus jeune, et je me fais chouchouter sans complexe par les grandes filles…

Je m’amuse bien.
 Nous allons jouer avec les grands gamins de la ferme d’à côté. On va promener les vaches, elles ont peur de l’éolienne. (Dans bien longtemps il y aura un grand débat sur l’installation ou non d’éoliennes à Germainville).
 Il nous arrive même avec le troupeau de cinq six vaches de traverser la route de Paris pour les faire brouter sur des meilleurs pâturages (Imaginez la scène quand la nationale 12 sera à quatre voies !)

 

Il m’arrive même une petite aventure rigolote.
Sur le bord de la route je trouve une vielle botte de caoutchouc abandonnée…Pour jouer, je passe aussitôt mon pied droit dedans, mais je peux plus le retirer, ma chaussure est coincée. Je rentre clopin-clopant. . Marceau est obligé de couper la botte avec un sécateur pour me libérer.

Je dors dans un lit clos. Il me faut monter sur un escabeau pour y grimper. Je joue avec le rideau qui, fermé, m’isole du monde Le matelas est complètement défoncé  mais je m’y sens bien dans cette grosse armoire lit. Pour m’endormir je me raconte à mi-voix des histoires de cirque……

 

Mais un événement va écourter mon séjour à la campagne.
Dans le jardin il y a un prunier aux fruits bien tentants. Je ne peux y résister, mais les prunes sont vertes et me donne une superbe diarrhée. Je ne peux me retenir et mes vêtements sont copieusement remplis et tachés. Marceau et Yvonne ne peuvent comprendre qu’un grand garçon comme moi (6ans) ait pu se laisser surprendre ainsi. Marceau m’humilie, en me faisant sentir mes vêtements souillés plongés dans l’eau d’une bassine.

Maman alertée par téléphone à son bureau arrive très vite dans la camionnette de la quincaillerie, conduite par son patron qui possède une ferme à Germainville.
Elle me ramène à la maison et se fâche définitivement avec ses cousins.

Il ne faudra plus jamais parler devant elle de Marceau et Yvonne.
Marceau pendant des années essayera, en vain, de renouer les relations, en  envoyant ses vœux en fin d’année.  Maman les déchirera sans les lire…

 

Ce sera la dernière tentative de maman pour me faire garder….Dorénavant, je vais rester en l’absence de mes parents seul à la maison avec pour compagnie ma chienne Louloute. Cela en attendant l’âge du patronage laïc du jeudi après midi et des colonies de vacances l’été…..


 A SUIVRE : Jeudi prochain : 1952.-deuxième partie.
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14 mai 2009 4 14 /05 /mai /2009 07:00

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AN PAR AN,
               Chronique d'une jeunesse drouaise
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J'ai fait le pari de raconter une vie, annèe par année.
La chronique d'une vie drouaise, ou plutôt d'une jeunesse drouaise :
de 1946 à 1967. Chaque semaine, une année.....
J'y raconte mon enfance à Dreux, mais je m'attache surtout à décrire tout ce que j'ai pu observer dans la vie drouaise de l'époque...
Les personnes, les lieux, l'histoire et les petites histoires drouaises, des portraits, des atmosphéres, des anecdotes. , bref, tout ce qui fait le sel d'une vie et fournit la mémoire en souvenirs de toutes sortes..et que peut être certains Drouais reconnaîtront..

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 1 9 5 2  

 

Une année de transition.

En cinq ans j’ai déjà appris beaucoup de choses, marcher, être autonome, parler, Cette année je monte une marche, je vais apprendre à lire, à écrire, commencer ce long chemin de près de quinze ans pendant lequel je vais ingurgiter tellement de matières diverses et variées que je m’empresserai très vite  plus tard d’oublier….Je vais aussi apprendre à monter à bicyclette, il paraît que cela par contre ne s’oublie jamais….

Mais n’allons pas trop vite.

 

C’est la première fois que je vois un cirque :

Le cirque Pinder. Il est dix heures du matin. Maman m’a amené à la gare de Dreux ….Le cirque arrive par chemin de fer. Un train entier pour lui tout seul… Des tracteurs descendent des wagons et tirent des remorquent dans lequel sont entassées les pièces du chapiteau…Ces tracteurs avec leur lourd et encombrant chargement sortent lentement et bruyamment de la gare  en laissant échapper des volutes de  fumée noire. Ils s’en vont descendre l’avenue de la gare et se dirigent vers la place Mézirard où le cirque va s’installer, à un peu moins d’un kilomètre de là….Puis des roulottes jaunes et rouges sont descendues des wagons tirées certaines par des tracteurs d’autres par des chevaux ; Je suis fasciné.

.Des chevaux quatre éléphants, des dromadaires des cages dans lesquelles on devine des fauves, descendent du train. Un cortège se forme, trois chars décorés, de belles dames emplumées, des musiciens en uniforme multicolore jouent de la trompette, du tambour. C’est la parade qui commence…La foule s’attroupe…le défilé s’ébranle et prend le même chemin que les tracteurs de tout à l’heure, Je tire maman par la manche…la musique, l’agitation me grisent, les éléphants qui marchent si pesamment me subjuguent…Nous traversons ainsi la ville, il n’est pas question à ma maman de m’empêcher de suivre…

Nous débouchons avec le cortège Place Mésirard ou le chapiteau commence à s’élever, car une bonne partie du matériel et des caravanes est aussi arrivée par la route. De grands costauds par groupes de trois ou quatre enfoncent dans le bitume de la place de longs pieux en fer en frappant tour à tour et en cadence avec de lourds marteaux. Des coups de sifflets, des ordres hurlés le martèlement des coups de masses, le froissement de la toile qui monte lentement dans le ciel autour des mats, la fanfare qui continue de jouer, des barrissements des rugissements, Je m’enivre de toute cette effervescence pendant que maman fait la queue devant la roulotte de la caisse pour louer les places de ce soir.

Toute l’après-midi je suis dans une excitation extrême.

Enfin le soir est arrivé .Nous sommes à l’intérieur du chapiteau, sur les gradins de bois en peu en hauteur…. Le spectacle commence : Les flonflons tonitruants de l’orchestre, Monsieur Royal…, le dompteur. Les lions me font peur, les trapézistes me donnent le tournis…je me tords le cou pour mieux les voir en me levant de mon banc, je gesticule….Crac, mon pied glisse, je tombe entre le banc et les planches des gradins Je chute d’environ deux mètres sur le sol. Mon papa en se faufilant sous les gradins   .me récupère. Je n’ais rien, heureusement.. Papa me remonte à ma place, me gronde, je lui sens l’envie de me mettre une de ces fessées…Mais le spectacle continue…

Je reviens épuisé à la maison, et m’endors plein de rêves dans la tête…  

Je ramène aussi un carton à découper pour en faire une maquette de cirque…

Je découpe, je colle, je plie et je déchire. Le résultat n’est pas flagrant du tout, plutôt même désastreux…..…. 

Quelques jours plus tard, en visite chez mes deux copains de crèche, Daniel et  Françoise, le frère et la sœur, je m’aperçois qu’ils ont réussi à monter ce cirque en carton. C’est magnifique…J’en suis jaloux, et peste après moi d’avoir été aussi maladroit. Au retour à la maison je déchire rageusement les morceaux de ce qui reste de ma maquette.

 

Il me reste quelque chose de l’incident de l’année dernière au 14 Juillet, ce pétard reçu dans l’œil : Une peur panique de l’Orage …

 La tante Berthe, qui a enterré son mari l’an dernier vient souvent le lundi à Dreux pour vendre quelques produits fermiers sur le marché. Elle représente ce qu’on appelle un « petit panier » Car elle étale devant elle à même le sol les paniers contenant les produits à vendre, légumes, fruits, œufs, voire lapins, fromages, poulets. Le midi elle monte de la ville à notre maison pour déjeuner avec nous. Elle repart en début d’après midi avec ses paniers vides de ses propres ventes mais en partie remplis des emplettes faites sur le marché. Elle reprend le train pour Marchezais et Serville….

Ce midi, un orage terrible s’est abattu sur la ville. Mort de trouille je me suis réfugié sous le petit lit qui se trouve dans la salle à manger….Maman n’arrive pas à me calmer. La tante Berthe arrive de la ville, complètement trempée malgré son énorme parapluie.

Découvrant  mes pieds dépassant de dessous le lit, elle me les chatouille avec la pointe de son parapluie… Elle rigole et se moque de moi….Un peu honteux je sors  pour l’embrasser. Je jure de ne plus avoir peur de l’orage……Promesse que j’aurai beaucoup de mal à tenir…..

 


A SUIVRE : Jeudi prochain : 1952.-deuxième partie.

Si vous voulez lire ou relire les chapitres précédents, 
:
A droite de ce texte, dans la rubrique : Catégories. Cliquer sur "le feuilleton".

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7 mai 2009 4 07 /05 /mai /2009 07:10

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AN PAR AN,
               Chronique d'une jeunesse drouaise
.

J'ai fait le pari de raconter une vie, annèe par année.
La chronique d'une vie drouaise, ou plutôt d'une jeunesse drouaise :
de 1946 à 1967. Chaque semaine, une année.....
J'y raconte mon enfance à Dreux, mais je m'attache surtout à décrire tout ce que j'ai pu observer dans la vie drouaise de l'époque...
Les personnes, les lieux, l'histoire et les petites histoires drouaises, des portraits, des atmosphéres, des anecdotes. , bref, tout ce qui fait le sel d'une vie et fournit la mémoire en souvenirs de toutes sortes..et que peut être certains Drouais reconnaîtront..

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 1 9 5 1  

 

C‘est ma deuxième année d’école maternelle.
L'école Jules Ferry aux Rochelles est dirigée par un duo de demoiselles. Ces demoiselles sont  des « vieilles filles » comme on nomme encore les dames non mariées de plus de 25 ans. Légalement elles sont « célibataires majeures », contrairement aux femmes mariées, considérées comme « mineures sous tutelle du mari ». L’émancipation des femmes a encore un bel avenir, même si ces ames peuvent voter depuis cinq ans. Elles sont sévères, ces demoiselles, même si on est, moi et mes camarades bambins un peu les enfants qu’elles n’auront jamais.

Un jour, j’ai du faire une bêtise, laquelle exactement  je ne saurai le dire.
Eh bien ! le petit bidule en ficelle et carton collé que j’avais si amoureusement bricolé pour mon Papa et ma Maman a été réquisitionné…Tous les autres petits écoliers ont pu l’emmener chez eux et le donner eux-mêmes à leurs parents. J’en étais tout triste…

Maman a du, à la demande des demoiselles, se déplacer un soir pour récupérer le dit bidule. Je ne sais pas ce qui c’est passé entre elles, mais en me ramenant à la maison, Maman était plus en colère envers les demoiselles qu’après moi…Il faut dire qu’elle est plutôt du style mère poule, ma maman, prête à sortir ses ergots si on touche à son petit poussin. 

Par contre, un matin Maman m’a fait une grande confiance…Elle m’a laissé partir avec mon copain Claude seuls à pied vers l’école (au pire 400m sans traversée de rue). Sans rien dire, en se cachant, elle nous a suivi. Il y a au milieu du parcours un petit verger aux cerises tentatrices, déjà bien mûres en ce début de Juin. Bien sûr, Maman nous a surpris en train d’essayer de grimper aux arbres. Une fessée mémorable, une de celles dont on se souvient toute sa vie. Je ne saurai jamais quel goût avaient ces cerises. 

Une des deux demoiselles nous fait chanter une comptine qui comporte des paroles qui, je pense, ne seront plus envisageables dans quelques dizaines d’années :

- «  Pourquoi la fatma, l’avait faim mon z’ami ???...

- parce que ..(Là je ne me souviens plus)

-Pourquoi la fatma l’avait soif mon z’ami. ?... ».

 je me souviens vaguement d’une histoire d’incendie, d’inondation….

Bref une sorte de « tout va très bien Madame la marquise » à la sauce colonialiste des années cinquante.  

 Encore un enterrement dans la famille : l’oncle Jules, le mari de l’une des nombreuses sœurs de ma grand-mère, celle que je connaîtrai sous le nom de « Tante Berthe ». . C’est la première fois que je prends le train, avec Maman. Quinze kilomètres jusqu’à la petite gare de Marchezais. Puis deux kilomètres à pieds sur un petit chemin herbu qui longe d’abord la voie ferré et à travers champs jusqu'au petit village de Serville…Il fait chaud. Le chemin me parait interminable. Je porte un petit chapeau de paille, je traîne derrière maman en ronchonnant…

Enfin nous arrivons, Un dais en toile noire flottant légèrement au vent  entoure le portail d’entrée de la petite ferme. Dans la cour, il y beaucoup de monde et pourtant peu de bruit. Plutôt un bourdonnement continu de paroles marmonnées à voix basse. Mon œil est tout de suite attiré par des rutilements de lumières  que le soleil multiplie en longues flammes jaunes. Ce sont plusieurs casques cuivrés surmontés de crêtes rouges qui brillent ainsi de tous leurs feux. Je suis ébloui, qu’est ce que c’est beau !….

L’oncle Jules était pompier volontaire. Ce sont ses camarades qui viennent l’accompagner à sa dernière demeure.

Maman me pousse à l’intérieur de la maison, il fait sombre et frais, on me donne à boire. Je devine une longue boite noire, sur deux tréteaux, des fleurs, des pleurs….

Puis le départ, un cheval caparaçonné de noir tire un corbillard orné de plumets blancs. En tenant la main de maman je chemine lentement un peu coincé entre les adultes de noir vêtus. Quelques murmures de voix ne peuvent couvrir le crissement des roues et le claquement régulier des pas lents du cheval sur le gravier.... Je peux admirer de prés les pompiers, leur uniforme noir aux boutons dorés, au large ceinturon de cuir jaune et surtout leur casque qui me fascine.

L’église, la messe, je m’y suis endormi, allongé sur un banc de bois vermoulu. Puis  encore une longue marche sous le soleil, vers le cimetière. J’assiste de loin à la mise en terre, puis des embrassades, des dames en noir, la tante Berthe,   qui m’enserre dans ses bras….

A nouveau ce petit chemin vers la gare…

Ouf ! Quelle journée….Heureusement, je pense que ce sera  le dernier décès dans ma famille avant quelques années. C’est vrai, mes touts premiers souvenirs d’enfance s’attachent à des enterrements. Mais j’espère que  tous mes souvenirs à venir seront plus heureux . 

14 Juillet –C’est la fête, le défilé, les soldats, les fanfares… les pompiers qui descendent sur une corde  en rappel  du haut du beffroi, du bruit, de la musique, des pétards. J’y ai vu aussi la rosière avec ses demoiselles d’honneur. Il paraît que la maman de papa a été rosière de Dreux en 1900. 

Nous sommes maintenant dans la cours de l’école des filles, rue st Martin, beaucoup de monde, du soleil, une estrade, des boxeurs,  un combat, des cris , des applaudissements, des coups de gong. Je suis heureux, juché sur les épaules de mon Papa je vois tout de haut, je ris à gorge déployée……

Et puis,  tout d’un coup, poum !!!. je reçoit un pétard sur l’œil, Il éclate dans un bruit assourdissant. Ca me brûle, je me mets à hurler…,  Papa affolé, d’une traite me descends de ses épaules. Il tremble, il se mets à hurler après les jeteurs de pétard et essaye dans la foule de courir après. Maman agenouillée éponge avec son mouchoir le sang qui gicle. Le pétard a brûlé le sourcil et fait éclaté l’arcade sourcilière…On dirait que je descend direct du ring où les boxeurs se tapent toujours dessus…Maman m’ayant tiré en courant sous le préau m’asperge .d’eau fraîche… Papa est parti invectiver la vendeuse de pétards à la sauvette.

Je n’irai pas au feu d’artifice ce soir...

N’ayant pas eu de points de suture,  mon sourcil droit sera longtemps orné d’une cicatrise en diagonale (un peu comme un certain Obispo bien plus tard pour faire joli).

Pendant toute mon enfance je garderai une peur viscérale de tout se qui éclate bruyamment : pétard, feu d’artifice et même l’orage. Dans vingt ans, au service militaire, il me faudra affronter  le bruit assourdissant de canons de gros calibre pour me guérir enfin de cette phobie. Et aussi je n’aimerai jamais jouer au ballon, au foot par exemple, avec une frousse terrible de prendre le ballon en pleine tête. 

Une boule de poils blancs s’ébroue dans le jardin, sautille en tous sens, se heurte à moi en couinant et repart à toute vitesse en jappant …J’essaie de l’attraper. Je courre après elle, je tombe dans l’herbe. Enfin je la saisi dans mes bras. Elle se débat de toutes ses pattes, et me mordille les mains.Je vous présente Louloute, c’est comme ça qu’on la baptisée,  une petite chienne sans pedigree  que papa a rapporté d’un de ses chantiers pour moi. Cette petite bête attachante sera ma compagne de solitude enfantine. 

Devant la maison qui est finie maintenant depuis bientôt trois ans, à nouveau un trou. En fait, une tranchée pour y poser un tuyau amenant le gaz de ville à la maison. Le travail n’est pas terminé, les terrassiers sont peut être parti déjeuner, leur outils reposent sur le remblai... Je suis curieux et j’entraîne mon papa au bord du trou pour voir ce qui s’y passe …Je me penche, un peu trop, je glisse, entraînant mon papa qui veut me rattraper. Nous tombons ensemble lourdement et bruyamment au fond du trou. Il n’est pas très haut ce trou, un mètre cinquante à peine, mais c’est plus haut que moi… Nous entraînons dans notre chute une pioche et une pelle qui nous tombent dessus sans heureusement nous faire de mal. Mais quelle frousse, surtout pour mon papa, qui a eu peur pour moi. Je sors de la tranchée avec une lèvre un peu saignante….La curiosité n’est pas toujours bien récompensée. 

Noël….Je confectionne pour mon papa et ma maman un père noël en carton. J’y colle une grande barbe en ouate. Dans un avenir très lointain,  mes filles et mêmes mes petits enfants feront le même truc,  une tradition bien établie dans les maternelle et qui se transmet de génération en génération. 

J’aime bien les fins d’année.

On va à la salle des fêtes. Monsieur le maire et d’autres font des discours c’est barbant, mais après on chante et on danse, on a plein de petits cadeaux et plein de bonbons.

Et puis il y a aussi la Fête des anciens prisonniers de guerre avec papa. Là encore, plein de bonnes choses pour moi, des petits nougats des petits bonhommes en pain d’épice.Un Camarade prisonnier de papa a monté  avec certains de ses anciens codétenus un petit orchestre de bal.
Cet ensemble « Tatave et ses musiciens », j’aurai l’occasion de les entendre plus d’une fois dans les années à venir, dans les bals et  les fêtes.
 

Ces cinq premières années de vie, finalement ne se sont pas trop mal passées….j’attends l’avenir avec optimiste.Pendant cette année1951, les européens commencent à s’unir en créant, la communauté européenne du charbon et de l’Acier.  Un chanteur, un cousin de la belle province, chante le ptit bonheur, moi, mes souliers et bozzo.

 Le ptit bonheur, cela me va bien pour les années à venir………..

 
A SUIVRE : Jeudi prochain : 1952.
Si vous voulez lire ou relire les chapitres précédents, cliquez sur
:
-1946 : LE FEUILLETON : "AN PAR AN" Chronique d'une vie drouaise. 1946
-1947 : LE FEUILLETON : "AN PAR AN" Chronique d'une vie drouaise. 1947
 

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30 avril 2009 4 30 /04 /avril /2009 07:00

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AN PAR AN,
               Chronique d'une jeunesse drouaise
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J'ai fait le pari de raconter une vie, annèe par année.
La chronique d'une vie drouaise, ou plutôt d'une jeunesse drouaise :
de 1946 à 1967. Chaque semaine, une année.....
J'y raconte mon enfance à Dreux, mais je m'attache surtout à décrire tout ce que j'ai pu observer dans la vie drouaise de l'époque...
Les personnes, les lieux, l'histoire et les petites histoires drouaises, des portraits, des atmosphéres, des anecdotes. , bref, tout ce qui fait le sel d'une vie et fournit la mémoire en souvenirs de toutes sortes..et que peut être certains Drouais reconnaîtront..

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30 Janvier. Mes premiers vrais souvenirs ; Tristes. Mais je ne m’en rends pas compte. :

 

-Je me vois dans la chambre sur le jardin, celle qui sera la mienne plus tard. Maman me tient la main et pleure en silence. Ma grand-mère est allongée sur le lit, mains jointes sur la poitrine,  une robe grise à carreaux bleus. Elle ne bouge pas, elle a les yeux fermés, la bouche entre ouverte.
 

-Puis, un jour ou deux après,  au fond de mon petit lit en fer, dans la salle à manger. Je suis malade, la varicelle je crois, j’ai des boutons partout qui grattent …Les volets sont à demi clos. Il règne dans la pièce une pénombre  reposante. Et pourtant, dans le couloir règne une grande fébrilité. Je vois par la porte vitrée papa habillé de son costume noir des grands jours. Il porte des fleurs. Du bruit, des pas, des mots à voix basse, des piétinements. Une grande agitation que j’entends sans  voir.

-Un visage féminin se baisse vers moi .en souriant. Une voilette de dentelles noires, des lunettes rondes qui reflètent la lumière vacillante de la petite lampe du plafond. C’est ma tante Cécelle, la sœur de Maman qui vient m’embrasser au fond de mon lit. 

-A nouveau le silence… les volets sont ouverts. La lumière du jour, timide en cette journée d’hiver emplit la pièce.

A coté de moi, assise, une silhouette. C’est Germaine, voisine et meilleure amie de maman qui me garde…A ses pieds, son petit garçon Claude, 2ans et demi, mon cadet d’un an, jour pour jour, joue avec mes jouets sans faire de bruits. La maladie me rendant fiévreux, je m’endors…. 

Je suis seul maintenant avec mes parents. Maman se pose une grave question :
 « qui va garder Titi ? »

 

Je vais maintenant à l’école maternelle Jules Ferry dans la même rue, à deux cent cinquante mètres de la maison. Mais le soir, après l’école, pendant les vacances, qui va prendre soin de moi ? Ma grand-mère n’est plus là. Et maman, contrairement à toutes ses voisines,  travaille. C’est un problème qui va se poser pendant toute mon enfance. .C’est le début pour moi de nombreux séjours chez moult personnes, des expériences souvent éphémères et éprouvantes.

Les  dames qui me gardent tour à tour  me trouvent vite  trop turbulent ou perturbant pour leurs propres enfants, qui eux sont chez eux,  ou prétextant l’arrivée d’un autre enfant etc. etc. Bref, tous les motifs semblent bons pour annoncer à ma Maman  qu’on ne peut plus me garder. Je n’ai jamais eu le temps de m’habituer à une nounou.

J’ai ainsi fait le tour de toutes les mères au foyer et même des  grands parents du quartier des Rochelles…Mais ma maman est assez exigeante et a le don de se fâcher avec tout le monde…

C’est quand même chez Germaine, l’amie de maman, avec son fils, mon copain Claude que je suis resté le plus souvent et le plus longtemps.

Très vite, dans deux ou trois ans, je prendrai l’habitude de rester seul à la maison. Ce qui, enfant unique, accompagnée par la lecture, la radio, le dessin cette solitude me donnera le caractère d’un doux rêveur en apparence un peu en dehors du monde. Mais en réalité  avec un goût prononcé pour l’observation de tout ce qui l’entoure et entre- autres ses contemporains…..

Mais pour l’instant je vais à l’école maternelle, ce sont mes vrais premiers contacts avec d’autre enfants, ce qui n’est pas toujours facile pour moi…mais cela me plait. Je gribouille, je colle, je découpe, je tourne les pages… .

La libéralisation de la femme est encore loin…Une femme qui travaille, même dans un milieu ouvrier comme le nôtre c’est une rareté, presque une anomalie…et en plus, maman fait figure d’intellectuelle.

Elle a été « aux écoles » jusqu’au brevet. A l’école de jeune fille dite « pratique »,(à cette époque, vers 1920, peu de filles atteignaient ce niveau d’étude, peut-être 10% à peine).…Mais ce sacré examen du brevet elle l’a raté, faute, selon elle, à sa mauvaise réponse en histoire concernant les coalitions contre Napoléon.  Depuis cet échec, elle garde une haine rentrée à l’encontre de l’empereur corse.

Elle ne travaille pas à l’usine, mais, après avoir été employée de banque ; elle est maintenant dactylo, secrétaire, comptable d’une grande quincaillerie drouaise.

Mon père, qui n’a pu continuer ses études, devenu orphelin de guerre 14/18, obligé de travailler comme apprenti menuisier lui voue une grande admiration.

« Elle a une belle écriture » dit-il. Pour lui, avoir une belle écriture c’est un gage d’intelligence et de grande culture.

Moi, qui plus tard aurai une écriture de cochon mes capacités intellectuelles lui seront toujours suspectes. (Heureusement que le clavier me permettra dans longtemps de cacher mes pattes de mouche..)  

Maman depuis le début d’année, est habillée tout en noir, Papa porte un brassard noir sur le haut du bras droit. La maison est triste….  

1950 est pour nous une année noire comme on en connaît peu dans sa vie.

Le fils aîné de la tante Marie et de l’oncle Louis, le « petit Joseph » est mort de maladie à tout juste trente ans.

Lors de son enterrement, un touchant hommage sera fait à ce militant des jeunesses chrétiennes. Ce discours dont je conserverai bien plus tard la trace, écrite dans la presse locale, est prononcé par un jeune homme qui aura un brillant avenir. Ancien apprenti dans l’atelier où travaillait mon papa ce jeune chrétien deviendra dans les années 1970 maire de Dreux et sénateur (dont un temps doyen du Sénat )….

L’année finit mal, comme elle a commencé.


La nuit de Noël, le brave curé d’Abondant,
celui qui m’a baptisé il y a moins de trois ans, est mort noyé.

Après la messe de minuit le prêtre s’est isolé dans la sacristie. A l’aube, on a retrouvé son corps flottant dans la mare située juste derrière l’église. Peu profonde, la mare, comme toute mare, sert avant tout d’abreuvoir aux troupeaux, de vaches principalement et quelques chevaux, des fermes avoisinantes. Ses abords herbus descendent en pentes douces vers l’eau stagnante et  verdoyante de lentilles d’eau. Cette mare, la principale et plus grande du pays se trouve derrière l église à 10 mètres environ des murs et de la petite porte donnant à la sacristie… Le curé bien sûr connaissait parfaitement bien l’emplacement de cette mare.

L’enquête des gendarmes a conclu à un accident, dû probablement  à la nuit (l’éclairage public est encore inexistant dans ces petits villages), au brouillard et au froid. Une fine couche de glace, bien trop fine pour supporter le poids d’un homme, recouvre la mare….La noyade a peut être aussi été due à un malaise. 

Maman n’a jamais compris pourquoi ce vieux curé, un soir aussi exceptionnel s’est retrouvé tout seul et non accompagné pour rentrer en pleine nuit, dans le froid, au presbytère. Surtout  que la maison se trouve de l’autre coté, sur la place devant l’église. Il lui suffisait de contourner la nef en longeant le mur plutôt que de marcher tout droit vers la mare…Il ne manquait pas de paroissiens pour l’aider à rentrer chez lui, notamment, selon Maman., les trois cousins……Ce drame a frappé les esprits pour longtemps en laissant planer un soupçon de mystère.


Bon laissons cette année 1950, Elle ne fut pas gaie pour notre famille  Et pourtant  tout va mieux en France : l’ombre de la  guerre s’efface petit à petit dans le paysage. Les tickets de rationnement n’ont plus cours. La France se relève, la reconstruction marche à plein,  le niveau de vie augmente,  les trente glorieuses avancent à pleine vitesse…Je perçois les années à  venir comme des années pleines de promesses.


A SUIVRE : Jeudi prochain : 1951.

Si vous voulez lire ou relire les chapitres précédents, cliquez sur :
-1946 :LE FEUILLETON : "AN PAR AN" Chronique d'une vie drouaise. 1946
-1947 :LE FEUILLETON : "AN PAR AN" Chronique d'une vie drouaise. 1947

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23 avril 2009 4 23 /04 /avril /2009 07:00
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                      Chronique d'une jeunesse drouaise
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J'ai fait le pari de raconter une vie, annèe par année.
La chronique d'une vie drouaise, ou plutôt d'une jeunesse drouaise :
de 1946 à 1967. Chaque semaine, une année.....
J'y raconte mon enfance à Dreux, mais je m'attache surtout à décrire tout ce que j'ai pu observer dans la vie drouaise de l'époque...
Les personnes, les lieux, l'histoire et les petites histoires drouaises, des portraits, des atmosphéres, des anecdotes. , bref, tout ce qui fait le sel d'une vie et fournit la mémoire en souvenirs de toutes sortes..
et que peut être certains Drouais reconnaîtront..

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1 9 4 9.


Ca y est j'ai quitté le petit appartement. J’habite maintenant la belle maison toute neuve  avec mon papa ma maman et ma mémé. Ca sent le plâtre humide et la peinture fraîche. Papa effectue les finitions en menuiserie. C’est son métier, et ne veut laisser à personne d’autre le soin d’installer les portes intérieures et les placards.
 

Pratiquement tous les beaux meubles de mes parents et grands parents ont été détruits lors du bombardement.  Deux meubles ont miraculeusement échappé au carnage : Le fauteuil dans lequel mon grand père malade se reposait avant de mourir en 1938. Ce fauteuil était à la cave, ma grand-mère s’y réfugiait pendant les bombardements .La petite table de nuit fabriquée par mon papa à la sortie de son apprentissage d’ébéniste a été protégée par la chute d’un matelas

Avec l’aide des bons du ministère de la reconstruction mes parents ont pu se racheter des meubles aux Galeries Barbés. Des meubles de faible qualité. Entre autre, une salle à manger d’un style bâtard, Henry II ou Henry III. Je ne sais pas de quel roi au juste. Une espèce de bahut  plein de colonnes et de dragons crachant le feu. Ces bestioles sculptées me font peur.

Bien sûr, papa regrette les meubles de familles anciens conçus et réalisés par la lignée des menuisiers ébénistes dont il fait partie. Mais ce mobilier de remplacement  sans âme fera quand même très bien l’affaire.

Maman n’a  pu récupérer qu’une toute petite partie de la vaisselle. Nous mangeons dans des assiettes dépareillées, provenant de plusieurs services de table : en rose, celles de ma grand-mère paternelle, en vert, celles de la maman de maman  et en bleu, celui du mariage de papa et maman. Et cela ne fait que quelques assiettes en tout.

Heureusement le bombardement n’a pas provoqué d’incendie. Cela a permis de sauver pratiquement dans leur intégralité les papiers, les documents et les photos de familles ainsi qu’un certain nombre de livres. Mis dans des caisses ils avaient été entreposés dans la petite partie encore debout de l’atelier.

Tous ces documents presque intacts et pour les plus anciens datant de 1850 me permettront dans un avenir fort lointain de décrire l’histoire de la famille.

 

L'année en cours ne me laissera qu'un seul souvenir. Mais il est de taille. Car  c’est le premier que je vais enregistrer dans ma mémoire pour les années à venir. En fait, juste une image, une impression, stoppée dans le temps : Je joue accroupi sur le parquet de la salle à manger. Au-dessus de moi, ma grand-mère, assise, regarde par la fenêtre. J’aperçois dans la pénombre en contre jour  son profil, son chignon  les mains jointes sur ses genoux et son dos voûté. Je ressens une grande distance entre l’attente calme et résignée de ma grand-mère et le bruit incessant des cubes de bois qui s’entrechoquent avec mes rires aigus….

 

Cette image représente le seul souvenir qui me restera de ma grand-mère en vie.

"Elle a eu une vie difficile " dit Maman.

Ouerre. Carte postale année 1900.
Maman a toujours certifié que les personnes photographiées représentaient
les parents et une partie de la nombreuse fratrie de ma grand-mère.
medium_1949-ouerre_famille_vorimore..jpg

Ma grand-mère est née en 1881 dans une famille de paysans pauvres. Elle est la quatrième d’une longue lignée d’enfants. Vingt et un ont tété conçu. Dix sept ont vécu. Ses parents l’ont baptisé Armance, mais elle s’est toujours fait appeler Clémence. Deux beaux prénoms en vérité. Maman croit savoir que le prénom d’Armance avait été prévu pour une grande soeur décédée avant de naître. C’est pourquoi Armance avait préféré remplacer son prénom d’état civil par celui, très proche phonétiquement,  de Clémence ce pour avoir un prénom bien à elle. Elle avait déjà seize ans quand sa dernière petite soeur  est née. Comme je l’ai déjà dit, elle a toujours reproché à son papa d’avoir fait autant de bébés à sa maman.  

Après avoir aidé son papa à la ferme  et sa maman à torcher et s’occuper des petits frères et sœurs elle a été placée comme bonne à tout faire à Dreux. Sa patronne Mme Lemaire exerçait une profession rare pour cette époque. Elle était dentiste. Son mari était conducteur de locomotives à vapeur. Mais curieusement en cette fin de dix-neuvième siècle cette profession de mécanicien était bien plus prestigieuse et peut-être plus rémunératrice que celle de dentiste.

En tout cas le fils de Mme Lemaire, le jeune Gaston,  est en partie élevé par ma Grand-mère. Après des études aux U.S.A. vers 1910, il est devenu lui aussi dentiste et exerce actuellement à Dreux. C’est lui, qui dans quelques petites années, le premier, va me faire subir le pénible supplice de la roulette. Aïe Aïe, j’en frémis d’avance, moi qui n’ai pour l’instant que quelques minuscules dents de lait.


La vie d’une bonne à tout faire en 1900 est très pénible.
 

DREUX-Une carte ancienne (vers 1910) abimée représentant le carrefour St Denis. On y voit nettement l'inscription en grand "Dentiste". C'est la maison où opérait Mme Lemaire et ou travaillait ma grand mère. Un dentiste s'y tenait encore en 1970, sans bien sùr, cettre énorme inscription murale qui n'aurait plus cours actuellement.
medium_1949-Mme_Lemaire_dentiste2.jpg

-Pas de machine à laver. : Il faut faire bouillir l’eau dans une grande lessiveuse sur un petit poêle à bois à l’extérieur de la maison, dans la cour. Même par  grand froid il faut remuer le linge dans la lessiveuse avec un grand bâton. En poussant une lourde brouette il faut aller jusqu’au lavoir pour rincer le linge dans l’eau de la rivière. Toutes ces manipulations gercent les mains. Les gants de protection ne sont pas encore utilisés (d’ailleurs dans ma maison il n’y a pas non plus de machine à laver, mais il y une salle d’eau c'est-à-dire l’eau courante, ce qui est quand même un tout petit progrès) 

-Pas de chauffage central. Le chauffage de la maison se fait par de multiples poêles qu’il faut remplir de bois et charbon, allumer, surveiller et vider de leur cendres le lendemain matin alors que la maison est redevenue froide. (Ma maison même moderne, fonctionne encore cinquante ans après, de la même manière pour le chauffage. C’est pour cela que je dors dans la chambre de mes parents. La petite chambre qui m’est destinée est dépourvue de chauffage.)

-Pas d’électricité : l’éclairage se fait à l’aide de lampe à pétrole qu’il faut bien sûr remplir et nettoyer. Ce genre d’éclairage peut être dangereux et émet une odeur forte d’huile fossile.

Je ne suis pas sûr que madame Lemaire utilise l’électricité dans son métier de dentiste. Imaginons une fraise à main ou à pédale …ouille, ouille.

(Dans ma maison il y a la lumière électrique. Juché sur le lit de mes parents je joue avec la poire qui descend du plafond au bout d’un cordon torsadé et qui se balance dans tous les sens j’appuis sans arrêt c’est rigolos le plafonnier s’allume,  s’éteint… mais cela se termine  mal pour moi car je reçois une fessée  par maman pour avoir sauté sur son lit à pieds joints)

Autre utilisation de l’électricité c’est la radio. J’en serai un adepte fervent dans quelques années et pour toujours.

A bien y réfléchir, dans ce début des années cinquante, nous ne vivons guère mieux qu’à la belle époque, mais de grands changements sont en gestation et m’attendent pour mon avenir.

 

A SUIVRE : Jeudi prochain : 1950

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-1946 :LE FEUILLETON : "AN PAR AN" Chronique d'une vie drouaise. 1946
-1947 :LE FEUILLETON : "AN PAR AN" Chronique d'une vie drouaise. 1947

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16 avril 2009 4 16 /04 /avril /2009 08:00

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                      Chronique d'une jeunesse drouaise
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J'ai fait le pari de raconter une vie, annèe par année.
La chronique d'une vie drouaise, ou plutôt d'une jeunesse drouaise :
de 1946 à 1967. Chaque semaine, une année.....
J'y raconte mon enfance à Dreux, mais je m'attache surtout à décrire tout ce que j'ai pu observer dans la vie drouaise de l'époque...
Les personnes, les lieux, l'histoire et les petites histoires drouaises, des portraits, des atmosphéres, des anecdotes. , bref, tout ce qui fait le sel d'une vie et fournit la mémoire en souvenirs de toutes sortes..et que peut être certains Drouais reconnaîtront..

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1 9 4 8  

La maison petit à petit se reconstruit. Mes parents me font visiter le chantier, car maintenant je sais marcher.  

En 1944 les bombes américaines ont démoli en enfilade les trois maisons construites par mon grand père maternel. Curieusement, le chapelet de bombes lâché  par l’avion à haute altitude s’est égrené sur plus d’un kilomètre. Un projectile a créé un grand trou dans un petit champ appartenant au grand-père de papa, l’ancien soldat de 1870 mort en 1930..La famille était particulièrement visée ce jour-là.

Papa conserve dans une caisse des morceaux de la bombe qui a transformé la maison en un tas de gravats. Une grande partie de ces débris sont déblayés et transportés en décharge mais beaucoup resteront pour longtemps disséminés en tas dans le jardin.  

Les services de la reconstruction ont décidé de reconstruire les trois maisons non pas de façon individuelle, mais en accolant deux entre elles. La maison qui était celle de mon grand père et celle de mes parents seront réunies tout en étant sur deux terrains différents. La troisième maison restant individuelle. Mon papa s’est battu pour éviter cet accolement. Mais l’administration a répondu que cela pourrait se faire, mais seulement dans trois ou quatre ans.

Mon papa étant pressé de voir reconstruire sa maison, accepte. 

C’est donc deux maisons jointes qui s’élèvent petit à petit sur les ruines ensevelies.

Papa s’apercevra plus tard, que la jeune dame qui sera  logée dans la maison jumelée à la sienne est la fille de l’architecte qui a conçu les trois maisons. De plus son mari est le métreur qui a supervisé le chantier. Curieux non ?...

 

La France est bénéficiaire du Plan Marshall. Les Américains après les avoir bombardés et libérés donnent aux français de l’argent pour réparer les dégâts qu’ils ont causés. 

Il faut bien avouer qu’ils ont bombardé un peu n’importe comment, sans chercher à éviter les maisons civiles  Les bombardiers américains, ces avions à deux queues volaient très haut au dessus de leur cible, au moins mille mètres.  

Ils n’ont jamais réussi à démolir le viaduc de Chérisy qui permet à la voie de chemin de fer, Paris Granville ; d’enjamber la rivière, l’Eure. Il a fallu que la résistance s’en mêle. Monsieur Dablin alias « Mathurin « un professeur de gymnastique que je connaîtrai plus tard ; a fait sauter le pont avec plusieurs partisans. Les renforts allemands ne pouvaient donc  plus atteindre par fer le front de Normandie. 

Les Anglais, eux, connaissant par expérience les conséquences désastreuses chez les civils des bombardements aériens, volaient beaucoup plus bas, ratant rarement leur cible mais étant plus vulnérables face à la « flack », la  DCA  allemande.

A l’entrée d’Abondant, au hameau de Brissard se tenait une batterie anti-aérienne dont le servant était un  tireur d’élite qui a détruit plus d’un avion allié. Le 11 Juin, il a descendu un avion américain qui est tombé dans la forêt, peut-être celui qui a bombardé la maison de papa. L’équipage au complet est enterré dans le cimetière de Dreux.

 Presque tous les cimetières de la région ont recueilli la dépouille d’aviateurs, américains et surtout anglais. De très jeunes hommes, 19-20 ans…sous le gazon sur lequel sont dressées des stèles de pierre blanche...Des allemands aussi sont enterrés  sous des croix de bois noir…


Après nous avoir libéré, les américains au lieu de retourner chez eux, s’installent. Ils construisent une « cité » sur le plateau nord. Une centaine de maisons sans étage, ressemblant à des longères de chez nous, mais plus légères et plus bariolées….

De gros bus rouges ou jaunes à face de bouledogue font la navette entre cette cité et la base aérienne de Crusey située  à  quinze kilomètres de Dreux, un camp d’aviation construit puis abandonné par les allemands. Les avions de la base  dont ces fameux « deux queues » survolent fréquemment la région. Mais cette fois ci, en rase motte et sans lâcher de bombes. Leur bruit de bourdon sourd et poussif m’empêche souvent de faire la sieste…

Beaucoup de français travaillent pour les américains et plus d’un est habillé par des surplus de l’armée : treillis, rangers, veste, casquettes…Beaucoup de matériels déclassés circulent : Jeep,  motos  etc.

Le mode de vie des américains commence peu à peu à influencer les habitudes des français…Ces Français dont beaucoup vivent encore dans des conditions moyenâgeuses. Les destructions et privations de la guerre n’ont bien sûr rien arrangé. De nombreux logements sont démunis d’eau courante, de salle d’eau et de WC, voire d’électricité.. Mais la maison qui se construit pour moi et mes parents aura tout cela.  


Papa, malgré  le chagrin
dû à la perte de la maison construite de ses propres mains, constate avec plaisir que la nouvelle est de meilleure qualité. En effet, les moellons fabriqués artisanalement avec du mâchefer sont remplacés par des pierres du pays ce qui rend les murs plus solides et la nouvelle cave est plus grande …
  

Un bouquet de branchages fleuris est accroché en haut du toit en ce début d’Automne. Cela signifie que le gros œuvre de la  maison  est terminé. Mais il reste encore beaucoup à faire avant d’emménager dans plusieurs mois : les plâtres, les portes, l’électricité et tout et tout…..


J’ai deux ans passés
maintenant, je marche couramment et commence à parler. Et ce mot « électricité » est un mot que je prononce avec difficulté : .écrilicité.. heu….etriclécité

Heu… Je laisse pour l’instant. J’arriverai bien à prononcer correctement ce mot là  plus tard…

Il y a un mot que je prononce bien et que je répète à satiété c’est « encore ». Mon papa m’a trouvé un autre surnom que « Titi « c’est « Cor-core ».Si la soupe est bonne, je réclame : encore, encore. Si  papa me fait tourner en l’air dans ses bras je rie en criant : core ..core….

 Et pour cette vie qui commence sous de si bons auspices : Core core…...  

Et pourtant un certain britannique Georges ORWELL, vient d’écrire un bouquin très pessimiste pour l’avenir.. Il a pour titre « 1984 ». Un grand frère, (tiens déjà) « Big Brother » surveille tout et tous et doit être en permanence respecté et honoré…..Bien ça promet. Mais l’an 1984 c’est loin, je serai très vieux.  

Eh puis ce n’est qu’un roman. Peu de prévisions s’avèrent justes à part celles de Nostradamus, et encore..

Alors je garde le moral…..


A SUIVRE : Jeudi prochain : 1949

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